Entretien juin 2019
Après des études musicales, Yvette Théraulaz suit des cours à l’École romande d’art dramatique au Conservatoire de Lausanne dont elle sort diplômée en 1964, et passe un an chez Tania Balachova à Paris. Très rapidement, elle s’engage dans des aventures théâtrales ayant une dimension sociale, voire politique. Dès 18 ans et pour quelques années, elle joue au Théâtre Populaire Romand puis, à l’âge de trente ans, fait ses débuts dans la chanson. A la fois chanteuse, pianiste et comédienne, elle jongle entre théâtre, théâtre musical et récitals en Suisse et à l’étranger. Une carrière immense et pleine d’humanité, que viennent récompenser plusieurs prix prestigieux.

Depuis Histoires d’Elles créé il y a une douzaine d’années, qu’est ce qui a changé, dans votre vie et sur les planches ? Histoires d’Elles – aussi un spectacle musical –, était construit autour de la figure de ma mère, femme née en 1920 qui n’a obtenu le droit de vote qu’à l’âge de 51 ans. Je tricotais l’histoire singulière d’un destin de femme avec celui de la grande histoire : celle du combat des femmes pour leurs droits et leur dignité. C’était comme une évidence pour moi, après plus de 40 ans consacrés aux femmes dans tous mes spectacles, de donner la parole aux hommes, surtout en ces temps troublés de #metoo. J’ai eu besoin d’aller à leur rencontre : mon père, mon fils, les hommes de ma vie, de m’entretenir avec eux, de recueillir leurs paroles, leurs peurs, leurs difficultés face aux femmes qui depuis les années 70 opèrent un changement historique. Et puis, entre deux, j’ai abordé avec humour dans Comme un vertige (2011) le temps qui passe et l’apprivoisement de la mort. Puis l’histoire d’une vie, des spermatozoïdes au tombeau, dans Les Années (2014) et enfin Ma Barbara (2017), que j’ai eu la joie de chanter au TBB la saison dernière. Et dans la vraie vie, j’ai deux petites filles.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous de venir créer votre spectacle au Théâtre Benno Besson ? D’abord, à l’âge de 14 ans, j’ai joué dans Sainte Jeanne des abattoirs de Bertolt Brecht, mis en scène par Benno Besson ! Puis j’ai eu le privilège de donner plusieurs spectacles au TBB ces dernières années. Je me réjouis d’y créer Histoires d’Ils, et espère ne pas décevoir le public, surtout après l’accueil si chaleureux qu’il a réservé à Ma Barbara.
Les hommes ? Ils ont croisé ma vie. Au seuil de la dernière danse, je me retourne et je me souviens. Au commencement il y a mon père : le premier homme qui m’a prise dans ses bras. Puis il y a l’autre homme de ma vie : mon fils devenu père à son tour. Entre mon père et mon fils il y aura : le premier amour, l’homme du train, le jeune amant, le professeur prédateur, l’écrivain qui console, l’homme blessé, le misogyne effrayé, le chanteur amoureux de la poésie, l’ami timide, le professeur de musique, l’homme en colère et tous les autres. La voix des hommes, le corps des hommes. Leurs peurs, leurs fragilités et leurs forces. Un voyage pour atteindre l’autre rivage et pour découvrir au bout du chemin que l’un est l’autre et que nous aspirons tous, autant que nous sommes, à la joie et à la gratitude.